Et si le prochain grand voyage ne passait pas par une file d’attente à l’aéroport, mais par une piste cyclable qui longe un lac ou traverse un col alpin au lever du jour ? Voyager à vélo n’est plus un truc de baroudeurs extrêmes ou de cyclistes en lycra fluo. C’est une manière concrète de réduire son empreinte carbone, de reprendre la main sur son temps… et de redécouvrir la Suisse et l’Europe à hauteur d’homme (et de guidon).
La bonne nouvelle : la Suisse et les pays voisins sont parmi les meilleures régions au monde pour le cyclotourisme. Infrastructures solides, transports publics fiables, hébergements variés, paysages de carte postale. La mauvaise : on n’a plus vraiment d’excuse pour ne pas s’y mettre.
Pourquoi des vacances à vélo sont (vraiment) durables
On parle souvent de « voyager durable », mais que pèse réellement un voyage à vélo face à un city-trip en avion ? Quelques ordres de grandeur suffisent :
- Un aller-retour Genève–Barcelone en avion = environ 300 à 400 kg de CO₂ par personne.
- Le même trajet en train + vélo = autour de 30 à 50 kg de CO₂ (selon les correspondances et le réseau électrique utilisé).
- Un séjour de 10 jours exclusivement à vélo, en Suisse, avec quelques trajets en train = souvent moins de 20 kg de CO₂ au total.
À cela s’ajoute un effet collatéral : à vélo, on consomme moins « à côté ». On achète moins de gadgets, on se déplace lentement, on reste plus longtemps au même endroit, on va chez les petits producteurs plutôt qu’au centre commercial climatisé. Le voyage à vélo a un effet ralentisseur qui n’est pas qu’une posture instagrammable.
Reste la question clé : par où commencer, concrètement, sans se transformer en athlète de l’ultra-distance ? Voici quelques idées de roadtrips à vélo en Suisse et en Europe, testées et prouvées accessibles, modulables… et franchement mémorables.
En Suisse : des lacs, des cols et des trains pour souffler
La Suisse est un terrain de jeu idéal pour s’initier (ou s’acharner) au cyclotourisme. Grâce au réseau national SuisseMobile et à la densité de transports publics, il est possible de construire des itinéraires sur mesure, en adaptant la difficulté et la durée.
La classique douce : le tour du lac de Neuchâtel (et ses voisins)
Distance indicative : 3 à 5 jours selon variantes et rythme.
Pour qui ? Pour les débutants, les familles, ou ceux qui veulent tester un premier voyage à vélo sans se frotter à des dénivelés monstrueux.
Idée de parcours :
- Départ à Yverdon-les-Bains ou Neuchâtel, facilement accessibles en train.
- Remonter la rive nord du lac de Neuchâtel via Estavayer, Gletterens, Portalban : paysages de réserve naturelle, plages, petites routes agricoles.
- Prolonger vers le lac de Morat (Murtensee) : vieille ville parfaitement conservée, ambiance presque méditerranéenne quand il fait chaud.
- Option : pousser jusqu’au lac de Bienne pour un « triple combo » de lacs, avant de revenir par les vignobles du Vully ou la rive sud du lac de Neuchâtel.
Pourquoi c’est durable :
- On peut rejoindre le départ en train, avec transport vélo relativement simple.
- Nombreuses possibilités d’hébergement local : chambres d’hôtes, petits hôtels, campings en bord de lac.
- Restauration souvent locale : poissons des lacs, vins du Vully, produits laitiers de la région.
Astuce : partir hors haute saison (mai-juin ou septembre) permet d’éviter la foule et la canicule, tout en gardant des conditions très agréables pour pédaler.
Pour prendre de la hauteur : les cols alpins… avec assistance ferroviaire
Distance : 4 à 7 jours, difficulté modérée à élevée selon les options. Mais pas besoin d’être Nino Schurter.
Idée de philosophie : ne pas hésiter à combiner vélo et train pour lisser l’effort. On peut, par exemple :
- Commencer à Coire, monter en douceur la vallée du Rhin jusqu’à Disentis.
- De là, deux options :
- Version sportive : grimper l’Oberalp, puis descendre sur Andermatt.
- Version tranquille : prendre le train jusqu’à Andermatt avec le vélo.
- Depuis Andermatt, enchaîner selon les envies : Furka, Gotthard (ancienne route pavée spectaculaire), Susten. Ou simplement explorer la vallée d’Urseren et ses villages.
Le vrai intérêt environnemental, ici, c’est le recours systématique au rail :
- Arriver en train depuis n’importe quelle grande ville suisse.
- Couper les étapes trop dures ou trop pluvieuses avec un tronçon ferroviaire.
- Éviter complètement la location de voiture.
Et pour ceux qui veulent quand même grimper mais pas exploser au bout de 3 km, le vélo à assistance électrique change la donne. À condition, bien sûr, de le louer ou de l’utiliser sur plusieurs années : un VAE qui reste au garage est tout sauf durable.
Un slow trip helvétique : de Bâle à Genève le long de l’Arc jurassien
Distance : environ 400 km, 6 à 10 jours selon les variantes.
Cet itinéraire longe les crêtes et vallées du Jura, avec une alternance de villes industrielles, de paysages ruraux et de hauts pâturages. C’est aussi un bon angle pour interroger le rapport entre industrie, énergie et environnement.
Quelques haltes parlantes :
- Bâle : hub ferroviaire et chimique, point de départ idéal pour comparer urbanisme et mobilité.
- Delémont, Moutier, La Chaux-de-Fonds : villes marquées par l’horlogerie et les reconversions industrielles.
- Neuchâtel et le littoral : transition vers les lacs, vignobles, start-up « green tech » et recherches sur l’énergie.
- Yverdon–Lausanne–Genève : densité urbaine croissante, pistes cyclables plus chargées, mais aussi la réalité quotidienne de la mobilité douce.
C’est un itinéraire qui permet de mesurer, très concrètement, comment les territoires s’organisent (ou non) pour les mobilités lentes : pistes continues ou tronquées, priorités aux feux, qualité de l’intermodalité vélo-train. Un roadtrip, mais aussi un petit laboratoire de politiques publiques.
En Europe : voyager loin, sans avion (et sans se ruiner en CO₂)
Quitter la Suisse à vélo ne signifie pas faire un Paris–Athènes en 12 jours. L’Europe est maillée de lignes ferroviaires qui permettent de « sauter » les portions monotones pour se concentrer sur les régions réellement intéressantes à parcourir à vélo.
La Vélodyssée atlantique : de Nantes à la côte basque
Distance : 500 à 800 km selon la portion choisie, 7 à 14 jours.
La Vélodyssée suit la côte atlantique française, en grande partie sur pistes cyclables dédiées. Paysages de dunes, forêts de pins, villages ostréicoles, stations balnéaires parfois saturées… mais avec la possibilité de choisir ses ambiances.
Accès depuis la Suisse :
- Train jusqu’à Genève, puis TGV Lyria vers Lyon ou Paris, et ensuite vers Nantes ou La Rochelle (attention aux conditions de transport vélo, variables selon les trains).
- Possibilité de louer un vélo sur place pour éviter la logistique ferroviaire, et de repartir d’une autre ville (Bordeaux, Bayonne) en train.
Ce que ce trajet dit du voyage durable :
- Il montre la tension entre massification touristique (campings géants, bouchons sur les routes) et volonté de favoriser la mobilité douce via des infrastructures cyclables XXL.
- Il permet de consommer local de manière presque systématique : huîtres, poissons, légumes, vins de Bordeaux ou du Pays basque.
- Il soulève aussi la question des résidences secondaires, de l’artificialisation du littoral et de la vulnérabilité des côtes face à la montée des eaux… difficile de rester indifférent en pédalant au ras des dunes.
La vallée du Danube : de Passau à Vienne (ou Budapest)
Distance : 300 à 700 km, difficulté faible à modérée.
C’est l’un des itinéraires cyclables les plus populaires d’Europe, et ce n’est pas un hasard : peu de dénivelé, villages pittoresques, châteaux, vignobles, voies vertes bien balisées. Une sorte d’autoroute douce du cyclotourisme.
Pourquoi c’est intéressant du point de vue écologique ?
- Le Danube est un fleuve clé pour le transport, l’énergie (barrages), la biodiversité. Le longer, c’est toucher du doigt les compromis parfois brutaux entre production électrique et écosystèmes.
- On voit aussi la transition entre différentes cultures de la mobilité : pistes impeccables en Autriche, sections parfois plus improvisées en Hongrie.
- L’itinéraire est desservi presque partout par le train, permettant de se rabattre en cas de météo apocalyptique ou de fatigue.
Accès depuis la Suisse :
- Train vers Munich ou Passau (via Zurich–Innsbruck ou Zurich–Munich).
- Retour en train depuis Vienne ou Budapest, avec parfois l’obligation de démonter ou de mettre le vélo en housse selon les compagnies.
Italien et méditerranéen : de Milan à la Riviera ligure
Distance : 200 à 400 km, 4 à 7 jours.
Pour ceux qui rêvent de mer, de focaccia et de villages colorés sans assumer un vol low-cost, la traversée nord-sud est une option séduisante.
Idée de parcours :
- Arrivée à Milan en train depuis la Suisse (Chiasso, Lugano, ou via le Simplon).
- Traversée de la plaine du Pô en cherchant les petites routes rurales et les canaux.
- Passage par les Apennins avec un col modéré (ou un transfert en train pour les moins motivés).
- Descente vers Gênes et la côte ligure, avec la superbe piste cyclable de la Riviera dei Fiori si l’on pousse vers l’ouest.
Ce trajet met en scène un autre enjeu : la reconquête du littoral par les mobilités douces. L’ancienne voie ferrée transformée en piste cyclable entre Sanremo et Imperia est un exemple presque pédagogique : là où passaient autrefois des trains diesel, circulent aujourd’hui vélos, piétons et joggeurs, au plus près de la mer.
Préparer un roadtrip à vélo durable : l’équipement sans surconsommation
On peut très vite transformer un simple projet de voyage à vélo en opération « panier Amazon illimité ». Tente ultralégère, sacoches dernier cri, GPS, vêtements techniques… Où placer le curseur sans tomber dans la surconsommation camouflée en aventure écologique ?
Quelques repères sobres :
- Commencer avec ce qu’on a : un VTT un peu lourd avec des vieux porte-bagages fera l’affaire pour un premier week-end. Si l’expérience vous plaît vraiment, vous saurez mieux ce qui mérite un investissement.
- Privilégier l’occasion : sacoches, remorques, tentes, vêtements : le marché de seconde main est saturé de matériel à peine utilisé.
- Louer plutôt qu’acheter : pour un roadtrip annuel, la location de VAE ou de vélos de voyage haut de gamme peut être plus rationnelle que l’achat d’une monture qui dormira 50 semaines par an.
- Limiter l’électronique : un smartphone avec carte offline suffit largement. Chaque gadget supplémentaire, c’est un objet à produire, à charger, à jeter un jour.
Le meilleur indicateur reste simple : si votre liste de matériel prend plus de temps à préparer que votre itinéraire, c’est probablement qu’il y a un léger biais consumériste dans l’affaire.
Intermodalité : le vrai superpouvoir du voyageur à vélo
Le vélo n’est pas un dogme. Le combo vélo + train (voire bus ou bateau) est souvent la solution la plus intelligente, y compris écologiquement. Plutôt que de griller votre motivation sur 100 km de zone industrielle, pourquoi ne pas « sauter » cette portion en train pour la réserver à la montagne ou au littoral ?
Ce qu’il faut vérifier avant de partir :
- Les règles de transport des vélos dans les trains : réservation obligatoire ou non, vélo monté ou démonté, suppléments à payer.
- Les alternatives en cas de refus (certains TGV ou ICE sont peu vélo-friendly) : trains régionaux, bus acceptant les vélos, location sur place.
- Les parkings sécurisés pour vélos dans les gares principales : utiles pour une nuit en ville sans charger de sacoches.
En Suisse, l’exemple est relativement vertueux, même si les places vélos sont parfois saturées aux heures de pointe. En France, en Allemagne ou en Italie, la situation est plus variable, mais tend à s’améliorer. Le cyclotourisme n’est plus un caprice, c’est un marché, et les entreprises ferroviaires commencent à le comprendre.
Voyager à vélo sans s’auto-illusionner
Oui, rouler à vélo est l’une des manières les plus sobres de voyager. Non, cela n’efface pas comme par magie tout le reste de notre bilan carbone annuel, ni le smartphone dans la poche, ni l’appartement chauffé en hiver.
Quelques points de lucidité utiles :
- Un voyage à vélo reste un voyage : consommation d’énergie (électricité pour le VAE, trains), nourriture (souvent plus calorique), matériel à produire.
- Le côté « instagrammable » peut être piégeux : multiplier les roadtrips lointains à chaque vacances, même en train, reste plus lourd qu’un seul voyage proche, bien pensé.
- Le but n’est pas la pureté : l’idée n’est pas de cocher des points de vertu, mais de réduire concrètement l’impact, sans perdre de vue que la sobriété reste relative.
La vraie force des vacances à vélo, c’est peut-être ailleurs : elles permettent de ressentir physiquement les distances, les reliefs, la météo. De comprendre qu’un « petit détour de 15 km » n’est plus anodin quand on le fait avec ses jambes. Et cette expérience, elle, a des chances de déborder sur le reste de nos choix de mobilité au quotidien.
Car après avoir traversé un col à 8 % de pente, on regarde autrement le réflexe « voiture pour 3 km en ville ». Et il devient soudain plus facile de poser la question qui dérange : est-ce vraiment la seule manière de se déplacer dont on est capable ?
