PFAS : des « polluants éternels » qui s’invitent dans notre sang
On les appelle les « polluants éternels ». Ce n’est pas un surnom de film catastrophe, mais la réalité chimique des PFAS, ces substances per- et polyfluoroalkylées qui persistent dans l’environnement… et dans notre organisme. Depuis quelques années, la littérature scientifique s’empile, et elle raconte une histoire assez simple : plus on étudie les PFAS, moins on est rassuré.
La question n’est plus vraiment de savoir si ces composés ont un impact sur la santé humaine, mais à partir de quel niveau d’exposition, et pour quelles maladies en priorité. Les dernières études sont de plus en plus précises – et souvent plus inquiétantes que les précédentes.
Alors, que nous disent vraiment ces travaux récents ? Et surtout : que pouvons-nous faire, à notre échelle, dans un monde où ces molécules sont partout, des poêles de cuisine aux nappes phréatiques ?
PFAS, c’est quoi exactement ? (Et pourquoi on en trouve jusque dans l’Arctique)
Les PFAS forment une grande famille de plus de 4 700 substances synthétiques. Leur point commun : une chaîne de carbone liée à du fluor, un des liens chimiques les plus solides qui soient. Résultat : ces produits ne se dégradent quasiment pas dans la nature.
Ils sont utilisés parce qu’ils repoussent l’eau, la graisse et les salissures, et résistent à la chaleur. On les retrouve notamment dans :
- les poêles antiadhésives (type Teflon et apparentés) ;
- certains emballages alimentaires (boîtes de fast-food, sachets de pop-corn à éclater au micro-ondes, cartons imperméables) ;
- les textiles « déperlants » (vestes de pluie, vêtements de ski, tapis, moquettes) ;
- les mousses anti-incendie utilisées sur les aéroports, sites industriels et bases militaires ;
- certains cosmétiques (fonds de teint longue tenue, mascara waterproof, rouges à lèvres) ;
- des produits de nettoyage, cirages, cires pour ski, etc.
Le problème, c’est que ces substances migrent : elles se retrouvent dans l’air, l’eau potable, les sols, la chaîne alimentaire. On détecte aujourd’hui des PFAS dans le sang de populations vivant loin de toute industrie, jusque dans les régions polaires. À l’échelle planétaire, c’est le scénario parfait d’une contamination diffuse et quasi irréversible.
Ce que disent les dernières études sur la santé humaine
Les premières alertes sur les PFAS remontent aux années 1990 avec des études menées autour d’usines aux États-Unis. Depuis, les cohortes se sont multipliées : populations exposées professionnellement, riverains de sites pollués, échantillons nationaux, femmes enceintes, enfants. Les résultats convergent.
Cancers : des signaux trop forts pour être ignorés
Parmi les PFAS les plus étudiés, le PFOA (acide perfluorooctanoïque) est aujourd’hui classé comme cancérogène avéré pour l’être humain (groupe 1) par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC, 2023). Le lien est jugé solide avec plusieurs cancers, notamment :
- cancer du rein ;
- cancer des testicules.
Des méta-analyses publiées entre 2020 et 2023 confirment que les personnes les plus exposées au PFOA et au PFOS (un autre PFAS anciennement très utilisé) présentent un risque accru de ces cancers, même à des niveaux d’exposition qualifiés de « faibles » il y a encore dix ans.
Les chercheurs observent aussi des associations avec :
- cancers du sein ;
- cancers de la prostate ;
- cancers du foie.
Pour certains de ces sites, la force de la preuve est encore jugée « limitée », mais le faisceau d’indices s’épaissit. La tendance des experts est claire : mieux vaut parler de substances « potentiellement cancérogènes » plutôt que de faire comme si de rien n’était.
Hormones, métabolisme et cholestérol : l’empreinte silencieuse des PFAS
Les PFAS sont considérés par de nombreuses équipes comme des perturbateurs endocriniens. Ils interfèrent avec les hormones thyroïdiennes, sexuelles et métaboliques.
Plusieurs études de grande ampleur, notamment aux États-Unis et en Europe, montrent que des concentrations sanguines plus élevées de PFAS sont associées à :
- une augmentation du cholestérol total et du LDL (« mauvais cholestérol ») ;
- un risque accru d’hypercholestérolémie clinique ;
- des troubles de la fonction thyroïdienne (hypo- ou hyperthyroïdie) ;
- une augmentation du risque de diabète de type 2, en particulier chez les femmes.
En 2022, une étude de cohorte publiée dans Diabetes Care a par exemple montré que l’exposition cumulée à plusieurs PFAS était associée à un risque significativement plus élevé de développer un diabète de type 2 chez des femmes d’âge mûr, même après correction pour le poids, l’alimentation et l’activité physique.
Autrement dit : ces substances ne se contentent pas de flotter passivement dans notre sang ; elles semblent modifier en profondeur notre métabolisme.
Grossesse, fertilité et développement de l’enfant
Les PFAS traversent le placenta et se retrouvent dans le sang du cordon ombilical ainsi que dans le lait maternel. Les études menées depuis une quinzaine d’années, et consolidées par plusieurs revues systématiques récentes, pointent vers des effets préoccupants :
- réduction de la fertilité féminine (temps plus long pour concevoir, diminution de la réserve ovarienne) ;
- augmentation du risque de fausses couches et de prééclampsie pour certaines expositions élevées ;
- poids de naissance plus faible chez les nouveau-nés ;
- perturbations du développement immunitaire et métabolique des enfants.
Une revue de 2023 publiée dans Environmental Health Perspectives a mis en évidence des liens entre exposition prénatale aux PFAS et :
- augmentation du risque de surpoids et d’obésité à l’enfance ;
- modifications de la fonction hépatique ;
- troubles du développement neurocomportemental, avec des associations observées pour l’attention et certaines fonctions cognitives.
Les auteurs restent prudents sur la causalité pour les effets neurodéveloppementaux, mais le message devient récurrent : l’exposition pendant la grossesse est une phase particulièrement sensible.
Immunité et vaccins : un affaiblissement documenté
L’un des résultats les plus robustes de ces dernières années concerne l’impact des PFAS sur le système immunitaire. Plusieurs études menées dans des régions fortement exposées – notamment au Danemark et aux îles Féroé – montrent que des concentrations plus élevées de PFAS dans le sang des enfants sont associées à :
- des titres d’anticorps plus faibles après des vaccinations courantes (diphtérie, tétanos, hépatite B, etc.) ;
- une augmentation du risque d’infections respiratoires et ORL.
En 2022, un rapport majeur des Académies nationales des sciences, d’ingénierie et de médecine des États-Unis a estimé que la diminution de la réponse vaccinale liée aux PFAS était « clairement établie », au point de recommander un suivi médical spécifique pour les personnes les plus exposées.
Dans un contexte post-Covid où l’efficacité vaccinale est un sujet sensible, l’idée que des polluants chimiques puissent grignoter silencieusement nos défenses immunitaires mérite qu’on s’y attarde.
Foie, reins, hypertension : des organes en première ligne
Le foie et les reins, principaux organes de filtration, paient logiquement un lourd tribut.
Côté foie :
- plusieurs études récentes montrent une association entre exposition aux PFAS et augmentation des enzymes hépatiques (ALAT, ASAT), signe de souffrance du foie ;
- une méta-analyse de 2022 a établi un lien entre PFAS et stéatose hépatique non alcoolique (foie gras non lié à l’alcool), un problème en pleine explosion mondiale.
Côté reins :
- augmentation du risque de maladie rénale chronique avec des expositions prolongées ;
- corrélations avec l’hypertension artérielle, notamment chez les femmes enceintes et les populations fortement exposées.
Ces effets s’ajoutent à ceux des autres facteurs de risque (alimentation, tabac, sédentarité). Les PFAS ne sont pas « la cause » unique, mais un poids supplémentaire sur une balance déjà chargée.
Sommes-nous tous contaminés ? La réponse est courte : presque
Les études de biosurveillance menées en Europe et en Amérique du Nord sont sans appel : la quasi-totalité de la population générale présente des PFAS mesurables dans le sang.
En Europe, des programmes comme HBM4EU ont montré que :
- plus de 98 % des échantillons analysés contiennent au moins un PFAS ;
- chez une part non négligeable de la population, les concentrations dépassent les valeurs recommandées par certaines agences scientifiques pour éviter des effets sanitaires.
En Suisse, plusieurs sites industriels et zones autour d’aéroports ou de casernes ont fait l’objet d’alertes médiatiques ces dernières années, avec des contaminations de sols, d’eaux souterraines et parfois d’eau potable dépassant les nouvelles normes européennes. Les données nationales restent encore fragmentaires, mais il serait illusoire de penser que le pays est à l’abri.
La vraie question n’est donc pas : « Ai-je des PFAS dans le sang ? », mais plutôt : « À quel niveau, et avec quelles conséquences à long terme ? »
Y a-t-il un niveau « sûr » d’exposition ? Le débat se resserre
La toxicologie classique aime les seuils : en dessous de telle dose, pas de danger ; au-dessus, attention. Avec les PFAS, ce schéma est remis en cause.
En 2020, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a fixé une « dose hebdomadaire tolérable » extrêmement basse pour quatre PFAS majeurs (PFOA, PFOS, PFNA, PFHxS), basée principalement sur l’effet immunitaire (réduction de la réponse vaccinale). Signe de la nervosité des experts : cette valeur est des dizaines de fois plus stricte que les références précédentes.
Depuis, plusieurs instances ont encore durci le ton :
- certains pays européens visent des limites de l’ordre de quelques nanogrammes par litre dans l’eau potable pour la somme de plusieurs PFAS ;
- des scientifiques appellent à considérer une approche de type « aussi bas que possible », en reconnaissant qu’aucun seuil « sans effet » n’est clairement démontré pour certains impacts, notamment immunitaires et hormonaux.
Cette inflexion est lourde de sens : elle signifie que les législateurs eux-mêmes doutent de la notion de « petite dose inoffensive » pour ce groupe de substances très persistantes, bioaccumulables et multifocales (elles touchent plusieurs organes et systèmes à la fois).
Peut-on se protéger individuellement ? Quelques gestes qui comptent vraiment
Dans un monde saturé de PFAS, « zéro exposition » est illusoire. Mais des choix quotidiens peuvent réduire significativement la dose reçue, notamment par les voies les plus critiques : alimentation, eau, produits de consommation courante.
Quelques leviers concrets :
- À la cuisine : privilégier des poêles sans revêtements fluorés (inox, fonte, céramique de qualité), éviter de faire chauffer à vide ou à très haute température des ustensiles à revêtement douteux.
- Dans l’assiette : réduire la consommation de produits très transformés emballés dans des contenants gras-imperméables (fast-food, pop-corn micro-ondes, cartons brillants ou « anti-graisse »).
- Côté eau : se renseigner sur la qualité de l’eau potable locale ; dans les zones à risque, envisager des filtres adaptés (certains filtres à charbon actif ou osmose inverse peuvent réduire les PFAS, mais pas tous – vérifier les certifications indépendantes).
- Textiles : éviter les vêtements et équipements « déperlants » traités aux fluorocarbures si ce n’est pas indispensable ; privilégier des marques qui affichent clairement « sans PFAS » ou « sans PFC » et ont des certifications sérieuses.
- Cosmétiques : lire les étiquettes, fuir les ingrédients contenant « fluoro », « PTFE », « perfluoro » dans la liste INCI, notamment pour les produits longue tenue ou waterproof.
- À la maison : limiter les sprays et traitements anti-taches pour canapés, tapis, chaussures, sauf nécessité absolue ; chercher des alternatives sans PFAS.
Ces mesures ne règlent pas la pollution mondiale, mais elles réduisent le « bruit de fond » d’exposition, particulièrement pour les femmes enceintes et les enfants, les plus vulnérables.
Réglementer des polluants éternels : un test politique majeur
Face à des substances persistantes, invisibles, aux effets multiples et différés, la régulation est un exercice de haute voltige. Les industriels plaident souvent l’incertitude scientifique ; les ONG, elles, rappellent que cette incertitude joue rarement en faveur de la population.
En Europe, plusieurs dynamiques se dessinent :
- un projet de restriction globale des PFAS (avec quelques exceptions temporaires) est à l’étude dans le cadre du règlement REACH ;
- certains pays, comme le Danemark, ont déjà interdit les PFAS dans les emballages alimentaires ;
- la réglementation sur l’eau potable est progressivement durcie pour tenir compte de la contamination généralisée.
En Suisse, la pression monte également pour adopter des limites harmonisées avec, voire plus strictes que, celles de l’Union européenne et pour cartographier plus systématiquement les sites contaminés (anciens champs de tir, zones industrielles, aéroports, etc.).
Un point crucial, souvent passé sous silence : remplacer un PFAS par un autre PFAS « de nouvelle génération » n’est pas une solution, quand on sait que beaucoup de substituts se révèlent, à leur tour, problématiques. Les scientifiques parlent de plus en plus de « regrets de substitution ».
D’où l’orientation proposée par de nombreux experts : sortir progressivement de la dépendance aux PFAS pour tous les usages « de confort » (emballages jetables, textiles non essentiels, cosmétiques), et les réserver, éventuellement et temporairement, à quelques applications vraiment critiques (médical, certaines technologies de pointe), sous contrôle strict.
Changer le récit : du confort chimique à la santé publique
En filigrane, le dossier PFAS raconte l’histoire d’un compromis implicite que nos sociétés ont accepté : un peu plus de confort, un peu plus d’antiadhésif, un peu plus d’imperméabilité… en échange d’une contamination diffuse de notre environnement et de nos organismes, pour des décennies, voire plus.
Les dernières études scientifiques sur la santé humaine resserrent l’étau : cancers, perturbations hormonales, atteintes immunitaires, impacts sur la grossesse et le développement de l’enfant… Le tableau dessiné n’est plus celui d’un risque théorique, lointain, réservé à quelques ouvriers en combinaison blanche. C’est celui d’un enjeu de santé publique global.
La bonne nouvelle, si l’on peut dire, c’est que les PFAS sont devenus un symbole puissant. Ils cristallisent tout ce qui ne fonctionne pas dans notre manière de concevoir, produire et réguler les substances chimiques : manque de transparence, tests insuffisants avant mise sur le marché, inertie réglementaire. En s’attaquant sérieusement à ce dossier, en Suisse comme ailleurs, on ouvre une brèche pour repenser l’ensemble.
En attendant, chacun peut, à son échelle, poser quelques questions dérangeantes à ses marques préférées, à ses élus, à ses fournisseurs d’eau. Et surtout refuser l’idée que ces « polluants éternels » seraient un prix normal à payer pour une poêle qui n’accroche pas.
